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Campagne du Soldat Jean Pierre SAMY

8ème Régiment d'Artillerie.






Jean Pierre SAMY est appelé à l'activité le 27 novembre 1913. Il arrive le jour même au 52éme Régiment d'Artillerie stationné à Angoulème.


Jean Pierre SAMY passe au 14ème Régiment d'Artillerie le 1er mai 1914.



Après quelques jours passés dans les cantonnements de mobilisation, au voisinage d'Angoulême, les unités s'embarquent, qui à Angoulême, qui à Ruelle. Le voyage dure deux jours ; il fait très chaud.



Marches de concentration.



Débarquement en Argonne et aussitôt le bivouac. Les officiers savent où ils sont, les hommes l'ignorent. On s'installe au petit bonheur dans les champs, faisant un peu de cuisine. Dans la nuit, on entend quelques coups de feu tirés par de braves gardes-voie sur … des ombres probablement. Le lendemain, commencent des marches d'approche. Interminables colonnes de corps d'armée où l'allure de marche est celle de l'infanterie. Près de Mouzay, pendant un abreuvoir, le bruit court que des avant-gardes ennemies sont à Stenay ; immédiatement les chevaux sont attelés et les marmites culbutées ; on se hâte vers Stenay qu'on atteint et traverse dans le plus grand calme. Pas la moindre trace d'ennemis dans le pays.

Plusieurs jours de repos à Cervizy et Martincourt font le plus grand bien. Les nouvelles de la guerre sont rares ; les bruits circulent, plus ou moins faux.



La Belgique et la retraite.



Le 22 août 1914, entrée en Belgique. Après avoir traversé la gentille petite ville de Florenville, on se dirige vers le nord, traversant la magnifique forêt d'Herbeumont. Le canon tonne plus fort et, à la sortie des bois, on aperçoit quelques cadavres de chevaux, les premiers. La colonne est survolée par plusieurs avions ennemis volant à faible hauteur.

Les pièces sont mises en batterie le soir même, mais on ne tire pas et, pour la nuit, un cantonnement-bivouac est organisé. Le 23, mise en batterie dans la région de Straimont ; il y a du brouillard, on va faire une école à feu. Les échelles observatoires de groupe sont dépliées, dissimulées par quelques branchages. L'attente est de courte durée ; bientôt, les groupes sont pris sous le feu ennemi heureusement mal réglé. Ce sont les premiers obus que l'on reçoit, et le tir semble impressionnant. On n'a pas l'occasion de tirer.

L'ordre de se replier arrive : toute l'artillerie du corps d'armée doit franchir un unique passage à niveau et faire quelques centaines de mètres sur une route vue de l'ennemi. Les artilleurs allemands n'allongent pas leur tir ; c'est sans perte qu'on se tire de cette première affaire.

La grande forêt est de nouveau traversée. A la sortie de Florenville, nouvelle mise en batterie avec mission de tirer sur l'ennemi qui déboucherait de la forêt d'Herbeumont. Nouveau repli dans l'après-midi ; la frontière est retraversée : notre séjour en Belgique a été d'une trentaine d'heures et nous n'avons pas tiré un coup de canon.



Blagny.



La nuit est passée au bivouac près de Deux-Villes. Dès le petit jour, des reconnaissances sont exécutées et les groupes prennent position sur les hauteurs qui dominent Blagny et Charbeaux. Quelques fourgons sont aperçus en feu. Aujourd'hui c'est sérieux : pour la première fois les batteries ouvrent le feu sur l'ennemi et battent des colonnes signalées par la poussière qu'elles soulèvent. En dehors de ces tirs, surveillance sur les lisières sud des bois du Banel. Vers 9 heures, l'artillerie ennemie qui a pris position arrose copieusement les pentes sur lesquelles nous nous trouvons. Le tir commence par des fusants tellement hauts que beaucoup s'amusent de ce qu'ils pensent être de l'inexpérience ; hélas ! Cette joie est de courte durée : les éclatements sont bientôt réglés et les gerbes sont à bonne hauteur. Les coups proviennent des bois de Pure, bois de Matton, bois du Banel et de Messincourt.

Au début de l'après-midi, le tir ennemi devient plus précis. L'infanterie, qui a reçu l'ordre suivant : « A 14 heures, si la situation le permet, les troupes regagneront les cantonnements », estime que la situation le permet, se replie en passant sur la crête qui est devant les batteries et attire sur ces dernières le tir de l'ennemi. Les servants continuent à servir leur matériel sous le feu avec une bravoure admirable et plusieurs pièces sont sous les balles de l'infanterie ennemie.

Le régiment subit ses premières pertes. Pas mal de chevaux tués ; des conducteurs un peu affolés ; une batterie laisse du matériel sur le terrain. Les émotions de la journée ont d'ailleurs fait perdre la tête à quelques cerveaux faibles ou fatigués.

Pour enrayer l'avance allemande, les groupes viennent de faire une très grosse consommation de munitions ; ils réussissent en partie à arrêter l'ennemi, mais sur un point, au mont Tilleul, des éléments adverses ont pu progresser et menacent la crête où il y a du matériel.

Les batteries descendent dans la vallée ; les blessés sont chargés tant bien que mal sur les voitures. De pauvres fantassins harassés ou blessés essaient de monter sur les tubes brûlants des canons et ne peuvent y rester. La Chiers est traversée pendant la nuit ; les 3ème et 4ème groupes font une marche de flanc en présence de l'ennemi. Artilleurs, cavaliers, fantassins sont mélangés dans la nuit, les voitures n'ont plus cette fois la distance réglementaire ; les unités se chevauchent.

Quelques mises en batterie rapides sur route, quelques salves dans la nuit, puis la marche est reprise vers l'arrière. L'horizon est tout illuminé par les incendies, en grande partie allumés par l'ennemi.

Le 25, les groupes se reconstituent ; ils occupent plusieurs positions autour de Vaux, Malandin, Mouzon ; tirent sur les routes et points de rassemblement probables de la rive droite, puis franchissent, la nuit, la Meuse à Mouzon et bivouaquent au moulin du Grésil et au moulin de la Hamelle.



Yoncq la Meuse - Beaumont.



Le 26, c'est la Meuse qu'il faut défendre. Le régiment occupe des positions près de Yoncq ; il tire activement, mais ne peut empêcher l'ennemi de franchir le fleuve au cours de la nuit qu'on passe sous la pluie, sur la position. Le 27, des positions sont prises près de Beaumont.



Flaba - La Besace.



Le 28 au matin, le régiment monte s'installer sur les hauteurs de Flaba où se trouve déjà une nombreuse artillerie. Le début du combat est heureux pour nous, mais lors d'un changement de position les batteries sont prises sous le feu, les fusants éclatent au-dessus des têtes ; il n'y a heureusement pas de blessés.

L'infanterie est très éprouvée : sur la route, c'est un défilé continuel de brancards portant de pauvres fantassins plus ou moins touchés. On rencontre, ainsi transportés, plusieurs officiers supérieurs d'infanterie. C'est la première fois que nous avons sous les yeux ce pénible spectacle de la guerre.

Une position est occupée au sud de la Besace ; elle doit être évacuée après quelques tirs, les pièces étant prises sous le feu de l'infanterie ennemie qui a pu progresser en s''infiltrant dans les champs. On tire jusqu'au dernier moment, alors que les avant-trains sont déjà presque accrochés.

Ensuite, triste retraite ; une colonne hétéroclite et bizarre fait l'ascension de la côte de Stonne, des sections de munitions et des batteries sont enchevêtrées, le Rimailho grimpe comme il peut, des fantassins s'accrochent aux voitures pour se reposer, des charrettes de toute nature s'intercalent dans la colonne. Le mouvement s'exécute bien, car l'ennemi ne tire pas. De nombreux blessés sont étendus sur les talus qui bordent la route à l'entrée de Stonne.

Dans la nuit, le bivouac est organisé à Châtillon-sur-Bar, Verrières, Authe. Le 29, l'artillerie de corps, groupée à Châtillon-sur-Bar, détache deux groupes qui s'installent à deux kilomètres nord-ouest de Brieulles-sur-Bar et restent toute la journée en surveillance sur la route de Stonne aux Grandes-Armoises. Le feu n'est pas ouvert. Les deux groupes libres se dirigent sur Vouziers dans la journée ; les autres les rejoignent le soir et tout le régiment s'installe au quartier de cavalerie. Chevaux et personnel, installés dans les écuries, le manège et les chambres, prennent un repos bien gagné. C'est la première fois depuis que l'on bat en retraite que tout le monde est abrité pour la nuit.

Le 30, c'est dimanche ; la matinée se passe pour tous à se nettoyer. Dans l'après-midi, alerte : les deux premiers groupes se portent au bivouac au nord de Vouziers, les deux derniers en font autant vers Ballay.



Voncq - Les Alleux.



La nuit est moins calme. Les 3ème et 4ème groupes montent prendre position près du village des Alleux ; les 1er et 2ème groupes ne se mettent en route qu'au jour : ils traversent l'Aisne et vont s'installer au sud-est de Voncq, dans un terrain accidenté, au milieu des pommiers.

Cette journée du 31 est dure pour le régiment ; de très nombreux tirs sont exécutés au sud du Chesne et dans la région des Petites-Armoises. Le 4ème groupe est repéré par des avions ennemis et pris à partie par des obusiers, il subit de grosses pertes, amène les avant-trains et quitte la position sous un feu violent parfaitement réglé.

Le soir, rassemblement des quatre groupes au bivouac entre Vandy et Terron-sur-Aisne. La nuit est noire et froide ; chacun s'installe du mieux qu'il peut avec un vague sentiment de malaise : le bruit a couru que devant le front du corps d'armée nos troupes avaient l'avantage.

De bonne heure, le signal du départ est donné ; c'est encore vers l'arrière qu'on se dirige. Vouziers est traversé de nouveau, mais tristement ; la ville sera abandonnée sans combat. Devant l'imminence du danger, les habitants chargent à la hâte sur des voitures ce qu'ils estiment posséder de plus précieux.

La ville est vite passée et, par une chaleur terrible, le régiment s'engage sur la grand'route, traverse Monthois sans s'y arrêter et, mélangé aux populations qui fuient, arrive à Séchault où on forme le parc dans un grand verger. Défense absolue de s'écarter ; tout le monde reste donc au parc. Le repos n'est que de courte durée ; le soir même, il faut partir. Dans l'obscurité, la retraite se continue ; on circule dans des chemins passablement mauvais et, vers minuit, on bivouaque à Tahure.



Souain.



Le 2 septembre, tout le régiment prend position au nord de Souain. Ses objectifs sont : Somme-Py et Sainte-Marie-à-Py. L'infanterie peut faire parvenir au 4ème groupe le renseignement que les lisières de Somme-Py sont très fortement occupées. Les batteries exécutent sur ces lisières un tir jusqu'à épuisement de leurs coffres, vrai feu roulant, mais le résultat cherché est obtenu : on aperçoit des Allemands en débandade se sauver sur les hauteurs au nord de la ville. Dans leur retraite précipitée, les fantassins allemands ont pris des gerbes de blé ou d'avoine et les mettent sur leur dos pour se protéger.

Le 2ème groupe, qui s'est installé dans les clairières de petits bois de sapins, est pas mal arrosé par l'artillerie ennemie ; il subit quelques pertes. A leurs observatoires, le commandant du groupe et ses capitaines ne doivent leur salut qu'aux trous qu'ils avaient fait creuser pour leur servir d'abris.

L'ordre de retraite arrive comme tous les soirs. La nuit se passe à peu près tranquille, mais de bonne heure le réveil est sonné par les premiers obus ennemis qui éclatent sur la ville. Une nouvelle fois, le régiment se remet en marche vers l'arrière ; on aperçoit à droite et à gauche des cavaliers chargés d'assurer la sûreté des colonnes. Les 1er et 2ème groupes s'arrêtent une partie de la journée à Courtisols et, vers le soir, s'en vont bivouaquer à Saint-Amand-sur-Fion. Le 3ème groupe prend part à un combat dans la région de Saint-Hilaire-au-Temple, puis traverse Courtisols et rejoint les deux premiers à Saint-Amand-sur-Fion.

Le repos ne dure guère. A 22 heures l'ordre de départ est donné ; tout le monde est épuisé : les conducteurs dorment sur leurs chevaux, eux-mêmes assoupis et qui marchent à allure rapide ; les servants ronflent sur les avant-trains ; de malheureux fantassins, n'en pouvant plus, somnolent accrochés aux voitures ou en équilibre sur les tubes des canons. On traverse Vitry-le-François vers le milieu de la nuit ; c'est lugubre. La ville est déserte et le roulement du matériel sur le pavé se répercute dans le lointain.

Quelques heures de repos à Frignicourt, où chacun dort entre les pieds des chevaux, et en route à nouveau. Le régiment est dépassé par des colonnes de cuirassiers ; très éprouvés par les récents combats, beaucoup manquent à l'appel et le nombre des chevaux tenus en main est considérable. De leur côté, ces pauvres animaux font pitié ; presque tous ont le dos emporté et saignant, ils sont restés si longtemps sans être dessellés.

On arrive à MargerieHancourt où tout le monde bivouaque ; les trois groupes sont réunis. On est tellement fatigué qu'on se rend à peine compte que la marche est terminée. Le 4ème groupe fait bande à part ; il vient bivouaquer à Pogny, puis combat au « Signal des Mouettes » (nord-est de la Chaussée-sur-Marne), où il reste en position jusqu'à la nuit bien que ses voisins se soient retirés sous la menace de la cavalerie ennemie. Une de ses batteries, la 10ème, occupe sur l'ordre du corps d'armée une position abandonnée par un autre groupe.

Mis à la disposition de la 24ème division, il fait avec elle une marche à travers le camp pour être prêt à intervenir sur son flanc gauche menacé et vient prendre position à Saint-Hilaire-au-Temple ; il tire sur des colonnes ennemies signalées et est pris à partie par l'artillerie allemande (en particulier la 10ème batterie, moins bien défilée aux vues).

Bien que menacé par la cavalerie ennemie signalée dans les environs, il reste sur la position et tire jusqu'à 22 heures. A cette heure il quitte la place, ayant eu quelques tués (hommes et chevaux) et rejoint la colonne sur la route de Châlons. Le 5, il est à Saint-Louvent, près de Châtelraould, marchant avec l'arrière-garde de la 24ème division. Il met en batterie le premier, exécute des tirs sur la gare de Vitry-le-François et vient en aide au corps colonial qui est à sa droite (à l'est). Prenant à partie des batteries ennemies vues en action, il exécute sur elles un tir progressif à obus à balles au moment où elles amènent les avant-trains et leur fait subir de fortes pertes, ainsi qu'en ont témoigné les blessés soignés à l'hôpital de Vitry-leFrançois.

C'est le début de la bataille de la Marne dans cette région du champ de bataille.

Les 1er, 2ème et 3ème groupes, arrivés le 4 à Margerie, entendent au cours de l'après-midi le bruit d'une violente lutte d'artillerie.

Dans l'après-midi, les crêtes du côté de Vitry-le-François sont couronnées de gros nuages noirs ; le combat doit être acharné et, de part et d'autre, il est probable que personne ne veut céder. Des renforts en chevaux sont envoyés au 4ème groupe qui en a bien besoin, les siens ayant été tués ou étant tout à fait épuisés par les fatigues.



La Marne.



Le 5, après-midi, les 1er et 3ème groupes quittent le bivouac ; le 2ème reste seul à Margerie-Hancourt. Les quatre groupes du régiment, bien qu'opérant dans la même région, se sont trouvés dans des conditions bien différentes ; force est donc de les suivre successivement.


1er groupe.

le 1er groupe se dirige vers les Arzillières et, le soir même, prend position à l'ouest de Châtelraould, au sud de la cote 174, avec Huiron comme principal objectif. L'ennemi bombarde copieusement les positions et occasionne de lourdes pertes ; la situation est plusieurs fois critique. Bien que très éprouvées, les batteries restent en place plusieurs jours sous le feu, tirant sans arrêt.

Le 8 septembre, la 1ère batterie se trouve derrière une crête voisine de Châtelraould lorsque l'ennemi déclenche une brusque attaque pour s'emparer de la crête et, de suite, gagne du terrain, arrivant à moins de 500 mètres des batteries. Toutes les liaisons entre l'observatoire et les pièces sont coupées. L'infanterie allemande, qui est maintenant à moins de 400 mètres, s'arrête, hésite, puis reflue en désordre ; la position est sauvée.

Les jours suivants, le groupe continue à subir des pertes ; sa cavalerie est très éprouvée. Le 11, le groupe cantonne à Blacy.


2ème groupe.

Le 2ème groupe quitte Margerie-Hancourt le 6 au matin ; il est à la disposition de la 23ème division. Le 7, avec le 17ème corps d'armée, il se met en batterie du côté de la ferme du Tillat, sur une crête que l'infanterie évacue par suite du bombardement ennemi. Dans la matinée, une attaque ennemie, repoussant notre brave infanterie, s'approche un peu trop du groupe qui arrive pourtant à briser cette offensive. Obligé de changer de position, il doit passer la nuit au bivouac dans les bois.

Le 8, installation des batteries non loin de Meix-Tiercelin ; les reconnaissances préalables montrent que les positions imposées sont déjà occupées ; il faut s'installer un peu en arrière. De nombreux tirs sont exécutés ; les officiers qui sont à l'observatoire voient avec peine des colonnes ennemies circuler en formation serrée sur la route Sompuis – Soudé – Sainte-Croix ; on ne dispose hélas d'aucune pièce à longue portée et il est impossible de semer un peu de désordre dans tout ce rassemblement de voitures : il est hors de portée.

Le soir, on trouve naturel d'aller au cantonnement à Domprot. Les positions sont reprises avant le jour. Les batteries ne sont pas éprouvées, mais les environs sont battus.

Le malheureux 23ème d'artillerie, placé à quelques centaines de mètres en avant de nous, est très fortement bombardé ; c'est lui qui occupe les positions que le groupe devait prendre. On admire les servants qui, pour chaque tir, bondissent de leurs trous sans se soucier des obus qui tombent et des caissons qui flambent. De temps en temps, on aperçoit un éclatement au milieu d'un groupe de ces braves et, dès que la fumée est dissipée, on distingue des malheureux étendus sur le sol. Les caissons embrasés ont leurs munitions qui fusent, semblables à de grands feux d'artifice ; c'est un spectacle pénible.<:p>

Deux drachens ennemis, les premiers que l'on aperçoit, semblent surveiller le champ de bataille et très probablement doivent servir au réglage des tirs. Le 9, après-midi, un premier bond permet de prendre position à la sortie nord de Meix-Tiercelin.La traversée du village s'effectue sans mal. Au moment de la mise en batterie, une rafale de gros calibre tombe près des attelages, causant quelques victimes ; nul ne se doute que c'est la dernière que l'ennemi nous enverra ce jour-là.

Objectif : ferme de la Galbodine. On apprend qu'un gros succès vient d'être remporté du côté de Fère-Champenoise ; on espère que ce n'est pas une fausse nouvelle. Sur la route, des chasseurs, montés sur leurs petits chevaux qui disparaissent sous les paquetages divers, racontent que l'ennemi est en fuite, qu'on lui a fait des prisonniers et que ces derniers meurent de faim.

La nuit, le groupe cantonne à Meix-Tiercelin et, le 10, marche de l'avant. Avant d'arriver à Humbauville, on aperçoit sur le bord de la route une distribution de viande toute préparée : les quartiers de viande sont étalés côte à côte sur l'herbe, le tout est très appétissant. Surpris, l'ennemi n'a pas eu le temps de répartir ses vivres ou de les détruire. On rencontre ensuite les premières maisons éventrées ou effondrées, laissant apparaître leur malheureux mobilier.

Sompuis, l'objectif du groupe, est traversé avec une vive satisfaction ; des sacs qui n'ont pu être chargés sont sur les trottoirs, des vitrines brisées encombrent la route. Les tris ont, hélas, mis à mal un grand nombre de maisons. A la sortie de Sompuis, on trouve une position de batterie ennemie sur laquelle des tirs ont été exécutés les jours précédents ; les tirs ont été bons, ainsi qu'en témoignent les restes de matériel brisé et démoli.


3ème groupe.

Le 3ème groupe quitte Margerie en même temps que le premier, dans l'après-midi du 5 ; il se dirige vers le village des Rivières qu'il traverse sous le feu de l'ennemi. Le soir même, il se met en batterie près de Châtelraould. Le 6, il est fortement bombardé après avoir été repéré et signalé par des avions ennemis ; malgré tout, il ne cesse de tirer et de se ravitailler en munitions. Quelques pertes à enregistrer.

Le 7, même bombardement. Le 8, au point du jour, les balles claquent contre les boucliers et crépitent autour des pièces Se glissant à la faveur de la nuit, l'ennemi a pu s'approcher des batteries et le gros de ses troupes se trouve à l'abri, en angle mort, protégé par la crête. Toute la journée les batteries sont soumises à un tir de démolition précis et réglé, observé par les drachen qu'on aperçoit en l'air. La 7ème batterie est particulièrement atteinte. Nombreuses victimes parmi le personnel. Les officiers de la 8ème batterie, voisine de la 7ème, la prennent sous leurs ordres et continuent le tir.

Vers la fin de l'après-midi, l'infanterie ennemie arrive sur la crête à 200 mètres du groupe ; ne pouvant plus tirer, les servants s'emparent de leurs mousquetons, prêts à défendre leur matériel jusqu'à la mort. Par bonheur, l'attaque ennemie est vue d'un observatoire du 1er groupe : une des batteries de ce groupe ouvre immédiatement le feu, sème le désordre et l'épouvante dans les rangs de l'adversaire, lui cause de grandes pertes et l'oblige à reculer. Quelques servants sont blessés par les balles au cours de cette affaire.

En fin de journée, la 7ème batterie n'a plus qu'un seul canon, ses caissons sont presque tous détruits et, comme personnel, il ne reste que trois servants. Les 8ème et 9ème batteries sont également très éprouvées ; le 21ème R. A. C., voisin, également : un de ses groupes n'a plus d'officiers. Le 9, journée terrible ; le tir parfaitement réglé de l'ennemi augmente d'intensité, c'est un enfer.

Le 20, le groupe n'a plus qu'une seule pièce en état de tirer ; chacune de ses batteries a perdu en tués et blessés une moyenne de 22 à 24 hommes. Le 21, marche en avant ; les restes du groupe cantonnent à Blacy avec le 1er groupe.

4ème groupe.

Le 4ème groupe, qui a battu en retraite moins loin que ses camarades, est en position, le 5 septembre, à l'est de Châtelraould. Le 6, il y est fortement pris à partie par l'artillerie ennemie et les boucliers de ses canons se transforment en vagues écumoires.

Dans un chemin creux de 300 à 400 mètres de long, occupé par l'infanterie ennemie, les rafales de 75 ont passé : il ne manque pas un fantassin allemand ; tous sont là restés à leur poste, tués ou blessés. La ferme du Cul-de-Sac qui est à proximité est pleine de blessés (200 environ). Dans le village on découvre quelques ennemis complètement ivres ; les caves ont été pillées et le champagne a dû couler à flots ; les nombreuses bouteilles qui jonchent le sol prouvent que l'ennemi a largement profité de la situation.


Les 1er, 3ème et 4ème groupes sont réunis, passablement désorganisés. Chacun sait que devant lui l'Allemand a été forcé de reculer, mais il ignore à peu près tout ce qui s'est passé ailleurs ; le grand succès de Fère-Champenoise et des marais de Saint-Gond est connu, mais imparfaitement. Ce qu'on saura plus tard, c'est que le régiment était à l'extrême aile droite de l'armée FOCH, au point qui constituait le pivot de sa manœuvre ; sa mission était donc simple : tenir de façon à fournir le point d'appui inébranlable aux troupes de gauche et leur permettre de pousser de l'avant. C'est par suite de cette situation de pivot que les groupes n'ont pas connu l'ivresse de la poursuite ; force leur a été de rester en place pendant l'avance des camarades et de recevoir jusqu'au bout les coups que l'ennemi impuissant s'efforçait de leur porter pour faire échouer toute la manœuvre. La marche en avant n'est prise que lorsque l'ennemi, complètement refoulé, décolle sur tout le front.

Pendant ces derniers jours, le 3ème groupe, qui est isolé, traverse la Marne, bivouaque le 11 à Saint-Amand-sur-Fion et Coulvagny. Le 12, à travers les bois, il se dirige vers Somme-Yèvre ; les 1er, 2ème et 4ème groupes, quittant Blacy, font route pour le même cantonnement ; le 4ème groupe, en tête, a pour mission de protéger la marche de l'infanterie et le passage de la Marne ; il met en batterie sur la rive gauche de la Marne à 4 heures.

A plusieurs reprises, le spectacle du champ de bataille se présente dans toute son horreur : cadavres d'hommes, de chevaux, fusils brisés, effets d'équipement et d'habillement déchiquetés, sacs éventrés, etc... Les bouteilles vides continuent à joncher le sol sur les routes et les talus ; c'est par milliers qu'on les compte.

Dans la soirée, tout le régiment est réuni au bivouac, à Somme-Yèvre. La nuit est passée dans la plus grande inquiétude, le crépitement de la fusillade dure toute la nuit. Par bonheur, les trains régimentaires rejoignent.

Le 13, bivouac à Saint-Mard-sur-Auve, village détruit. Sur la route, on croise ou dépasse de nombreux convois de prisonniers. Les chevaux sont dans un état lamentable, maigres, harassés, plus ou moins couverts de boue, ils tirent péniblement. Le 14, le régiment commence des marches dans la région de Champagne. Les chemins de terre sont défoncés et le sol des champs n'est pas assez résistant pour que l'on puisse les traverser avec les voitures.

Le régiment est en réserve d'armée ; on le promène à droite et à gauche, Laval-sur-Tourbe, Somme-Tourbe, pays qu'on traverse bien souvent. Le bivouac est établi près de Laval-sur-Tourbe, dans un marécage. Les voitures ont leurs coffres à peu près vides, les munitions manquent et, malgré leur charge réduite, il faut souvent des attelages de renfort pour les sortir de certains bourbiers.

Le 17 septembre, sous une pluie torrentielle, le régiment se met en marche pour appuyer une attaque du 17ème corps d'armée près de Hurlus, où l'ennemi se serait retranché. La marche est très pénible, les voitures s'embourbent à chaque instant, les chevaux tombent ; les groupes arrivent très tard, au milieu de l'obscurité la plus complète. Les batteries ne peuvent participer à l'action ; la pluie tombe à torrents. La nuit se passe autour de grands feux ; gradés et canonniers viennent à tour de rôle se rôtir un peu et essaient de se sécher.

La nuit est longue ; tantôt somnolant, tantôt causant, on arrive cependant au petit jour. Les voitures sont restées attelées toutes la nuit, quelques chevaux se sont couchés tout harnachés ; ce ne sont plus que des masses informes et innommables, boueuses et dégoûtantes.

Au jour, nouveau départ vers l'arrière. Défilé encore plus lamentable que la veille ; les chevaux tombent pour ne plus se relever. Immédiatement enlisés, c'est tout juste s'ils ont encore la force de remuer un membre ou de lever la tête. Cette expédition d'une nuit, sans mise en batterie, n'a comme résultat que la perte pour chaque groupe d'une quarantaine de chevaux.

Malgré les difficultés de la route et la fatigue générale, le régiment arrive à Suippes où il bivouaque (ferme de Piémont). Les 18 et 20, les groupes mettent en batterie dans le camp de Châlons (région des Ouvrages-Blancs).



Champagne - septembre 1914 à mars 1915.



Les 1er et 2ème groupes s'installent au voisinage de Saint-Hilaire-le-Grand ; les 3ème et 4ème au sud et sud-ouest d'Auberive. Les coffres sont à peu près vides ; ordre est donné d'économiser les munitions. L'ennemi paraissant ne plus bouger, des abris sont construits autour du matériel : huttes de paille, trous couverts avec les matériaux de démolition trouvés dans les villages. Quelques lignes téléphoniques à demeure sont installées, mais le téléphone Dedieu-Anglade, non prévu pour un semblable service, est très assujettissant pour le téléphoniste de garde. Des tableaux de fortune sont fabriqués par des canonniers ingénieux ; les fiches sont remplacées par des étuis de cartouches et des balles, les commutateurs par des clés de boîtes de sardines. On prend l'habitude de se coucher à heure fixe et de manger régulièrement ; c'est une nouvelle physionomie de la guerre.

Quelques alertes, la nuit, auxquelles on ne peut répondre, n'ayant pas de munitions. Les fantassins ont des tranchées encore peu profondes, peu ou pas de boyaux pour les relier entre elles. Les premières pièces lourdes (155 court) sont amenées dans le secteur de Jonchery. Le lendemain, l'ennemi prononçant une attaque de nuit subit de lourdes pertes du fait des batteries de campagne et du tir de l'artillerie lourde.

Dans la journée, bien que tout en se dissimulant le plus possible, on circule ; quelques pauvres fantassins tués depuis une quinzaine et découverts dans les fossés sont enterrés. L'Épine-Lambert et l'Épine-de-Vedegrange sont considérées comme très indiscrètes par les 1er et 2ème groupes.

A la fin de septembre, le 3ème groupe prend position au nord-est de Baconnes. Au milieu d'octobre, les 1er et 2ème groupes quittent Jonchery-sur-Suippe et vont relever des batteries installées près de Prosnes et au nord de Baconnes. Dans ce camp, en dehors des petits bois de sapins à forme géométrique, il n'existe rien capable de masquer le matériel. Canons et caissons sont installés sous des abris ayant extérieurement la forme de meules de paille.

De part et d'autre on pose des fils de fer. Les munitions manquant, on tire très peu ; le personnel arrange de son mieux les positions car l'hiver vient ; il faut lutter contre le froid et l'inondation. Peu de choses à signaler au début : la liaison d'infanterie s'organise.

Le 14 novembre 1914, une attaque est montée pour s'emparer d'un saillant ennemi devant Jonchery : c'est l'attaque du bois B. Pour cette opération, quatre pièces de 75 doivent être amenées à 400 mètres des premières lignes pour exécuter des brèches dans le réseau allemand. Chaque pièce est commandée par un officier ou un adjudant ; les pelotons de pièce sont choisis avec soin parmi les servants sur lesquels on peut compter en toute circonstance. Des casemates sont construites dans les tranchées, on élargit les boyaux ; enfin, on amène les pièces. Il faut que l'ennemi ne se doute de rien ; dans le silence de la nuit, le moindre bruit trahirait la manœuvre. Dans la nuit noire et glaciale, sur un terrain boueux et détrempé, les pièces sont traînées à bras, les roues entourées de paille. Descendues dans les boyaux élargis, elles arrivent dans les casemates destinées à les recevoir. Les munitions sont amenées à bras par les servants et le tout est fait avec tant de silence et de calme que l'ennemi ne se doute de rien.

Le matin de l'attaque, on essaie de déboucher les créneaux qui masquent les embrasures ; deux se retirent très facilement, mais deux autres, collés par la gelée, font corps avec les casemates. Les chefs de pièce et servants n'hésitent pas : bondissant hors de la tranchée, ils s'arment d'une pioche et, malgré le tir de mousqueterie violent dirigé contre eux, parviennent à retirer les panneaux. Le hasard veut qu'aucun de ces braves ne soit blessé.

Le tir a lieu dans de bonnes conditions ; chaque pièce fait sa brèche, permettant ainsi aux fantassins d'atteindre la tranchée ennemie. La nuit venue, la manœuvre inverse de celle de la veille est exécutée : les pièces sont ramenées aux batteries au prix des mêmes difficultés, mais avec le même succès.

Le 24 décembre, l'attaque recommence, mais avec un peu plus d'ampleur que la dernière fois. Le 3ème groupe participe aux opérations. Les pièces sont encore amenées dans les tranchées avec pour mission de faire du harcèlement dans les boyaux pour empêcher les renforts d'arriver et interdire l'accès des lignes aux troupes de contre-attaque. Les brèches sont faites par les batteries placées à environ 1.200 mètres des lignes.

Tout a été préparé d'avance : emplacements, liaisons téléphoniques. Le passage sur la Ain est difficile : il n'existe qu'un petit ponceau à demi défoncé pour franchir le ruisseau. L'obstacle est pourtant franchi, mais il reste 300 à 400 mètres à faire dans un terrain marécageux et quinze hommes ont peine à amener une pièce en position. Deux cents obus par pièce sont amenés par le même moyen aux abris à munitions.

L'attaque a lieu à 8 heures, après une préparation de trente minutes. Les batteries ne sont pas contrebattues. En dehors de ces attaques, les groupes n'exécutent que quelques tirs peu importants. A plusieurs reprises, les 3ème et 4ème groupes déclenchent une espèce de tir inventé depuis peu : le « tir d'épouvante », qui consiste à faire tirer à vitesse maxima le plus grand nombre de pièces pendant deux à trois minutes ; tirs dirigés sur des organisations importantes et sensibles de l'ennemi. Ce tir fut par la suite suivi à cinq minutes d'intervalle d'un deuxième tir analogue, pour détruire le personnel qui aurait occupé les tranchées par peur d'une attaque.

De janvier à mars, l'ennemi améliore ses tirs de contre-batterie ; les groupes sont quelquefois violemment pris à partie par l'artillerie ennemie. La 10ème batterie en particulier, placée dans un petit bois, le futur bois des « Marmites » de la région, reçoit une fois des obus de plusieurs batteries ennemies réunies.

Pendant ces trois mois, on a malheureusement à noter la crise des éclatements de pièces. En janvier, la 6ème batterie, pour la première fois au régiment, a un canon qui saute, tuant le chef de pièce et deux servants ; lamentable accident qui n'atteint pourtant pas le moral du personnel. Des ordres sont donnés pour ne tirer les obus explosifs qu'avec le personnel abrité ; ils sont difficilement exécutés, les servants ne pouvant se résoudre à servir leur pièce dans des trous.

Le 24 mars, le régiment quitte ses positions et cantonne à Cuperly. Le soir, cantonnement à la Chaussée-sur-Marne, et le lendemain embarquement à Vitry-la-Ville ; c'est le premier embarquement depuis celui de la mobilisation. Le régiment débarque à Toul les 26 et 27 mars.



Lorraine - mars à juin 1915.



Après le débarquement à Toul, l'étape se fait par une nuit glaciale. Le 28, les groupes occupent les positions suivantes : 1er et 2ème groupes, à l'est-sud-est de Limey ; 3ème groupe, voisinage de Maidières ; 4ème groupe, champ de manœuvre de Pont-à-Mousson, près de la ferme du Puits.

A peine installés, les groupes participent aux attaques de Regniéville-en-Haye et de Fey-en-Haye, attaques couronnées de succès en même temps que d'autres dans le bois Le Prêtre (bois du Quarten-Réserve en particulier). Le 1er avril, le 3ème groupe vient s'installer près de l'auberge Saint-Pierre. Le 3ème groupe est au voisinage de la forêt de Puvenelle et en profite. Le temps est mauvais pour l'installation : pluie continuelle et terrain détrempé. L'attaque contre Remenauville échoue.

Au début d'avril, on continue l'opération qui a pour but de réduire la hernie de Saint-Mihiel ; l'attaque doit se faire : à l'ouest, du côté des Éparges ; au sud, au delà des conquêtes précédentes de Fey-en-Haye et Regniéville-en-Haye, en direction de Thiaucourt. L'offensive a lieu le jour de Pâques, le saillant doit être réduit, et pourtant il n'en est rien. Après ces quelques jours d'excitation, période calme.

Au milieu de mai, le 2ème groupe quitte le ravin de Limey pour aller occuper des positions au sud de la route de Metz, au nord de Mamey. Des positions casematées sont construites au sud de Regniéville et de Fey-en-Haye. Le 3ème groupe, installé dans le bled, a construit de solides positions et des casemates ; très visible au milieu du terrain uni, il n'est pourtant pas bombardé ; il est probable que l'ennemi se figure, en voyant ces batteries si apparentes, que ce sont de fausses positions.

Le 4ème groupe, lui, est bombardé ; la ferme du Puits, où est l'état-major du groupe, est régulièrement prise sous le feu et les batteries sont fréquemment marmitées.

Le 1er juin, les 3ème et 4ème groupes sont séparés des 1er et 2ème pour former l'artillerie de la 128ème division. Les échelons des 1er et 2ème groupes sont admirablement bien installés à Martincourt, dans la vallée de l'Ache. A leur arrivée, des travaux ont dû être exécutés, mais par la suite tout le monde a pu profiter d'une demi-détente.

Après la séparation du régiment en deux parties égales, les groupes 1 et 2 restent au 12ème corps d'armée (23ème et 24ème divisions) et continuent à en constituer l'artillerie de corps.

La fragmentation du régiment n'a pas fait changer de place les 1er et 2ème groupes. Du 1er au 10, ils continuent à exécuter quelques tirs journaliers sans trop pâtir du bombardement ennemi. A côté du 2ème groupe qui participent aux actions dans le bois Le Prêtre tirent sans arrêt, déclenchant des barrages avec une vitesse remarquable.

A plusieurs reprises, des reconnaissances viennent prendre contact avec les groupes pour les relever, mais elles s'en retournent chaque fois sans qu'une relève ait lieu. Le 9 juin pourtant, c'est sérieux, et le 10, les groupes vont cantonner avec leurs échelons à Martincourt. Le lendemain, ils continuent leur route et s'installent à Villey-Saint-Étienne, sur le bord de la Moselle. Cette fois-ci c'est un bon cantonnement.

Le 15 juin, nouvel embarquement, partie à Toul, partie à Foug ; le régiment recharge une nouvelle fois son matériel pour une destination naturellement inconnue. En cours de route on constate qu'on se rapproche de Paris, puis en route vers Amiens. Une partie du régiment débarque à Amiens, l'autre à Corbie. Le 1er groupe se cantonne à Coisy, le 2ème à Cardonnette.

Le 18, reconnaissances et installation de sections contre avions autour d'Amiens : une au nord de la ville, l'autre au sud (cote 102), la 3ème au sud-est de Longueau.

Le 23, les groupes vont cantonner à Breilly et Picquigny, à l'ouest d'Amiens, sur les bords de la Somme ; c'est un vrai repos, coupé par quelques manœuvres et revues. Le 14 juillet, les groupes font mouvement et vont s'installer à Béhencourt et Fréchencourt, nord-est d'Amiens. Du 19 au 26, séjour à Frohen-le-Grand et Frohen-le-Petit, où les sections détachées rejoignent les groupes. Le 26 juillet, départ pour l'Artois : ce n'est certainement pas un secteur où l'on désire aller.



L'Artois - juillet 1915 à mars 1916.



Les groupes s'installent non loin de la route d'Arras à Souchez, à l'ouest de cette route, le 1er groupe dans la région Écurie – Maison-Blanche, le 2ème au voisinage de la Targette et des Rietz. Dans le paysage, la Targette et Neuville-Saint-Vaast en ruines : Thélus, les Tilleuls également. Partout de grosses organisations de l'ennemi : au loin, en avant, les hauteurs du télégraphe détruit de la crête de Vimy ; en arrière, les tours déchiquetées de l'abbaye du Mont-Saint-Éloi. Les échelons campent en plein air à Habarcq.

Dès les premiers jours, les batteries reçoivent des coups ; chaque groupe détache une section contre avions, l'une au nord de Marœuil, l'autre au champ de courses d'Arras. Ces deux sections travaillent avec des instruments primitifs, essayant de repérer exactement la position par le système du télémètre à grande base.

Au milieu d'août, les batteries viennent occuper des positions de deuxième ligne autour de Marœuil, au nord et au sud-est. Les groupes n'ont qu'une mission tout à fait éventuelle, les servants aménagent les positions et creusent des abris.

Le 1er septembre, les batteries reprennent des positions avancées : le 1er groupe près de la route de Béthune, au nord du faubourg Sainte-Catherine d'Arras ; le 2ème, dans le fond de Vase, retrouve ses anciens emplacements. Les deux groupes sont face à l'est.

Au milieu de septembre les boyaux sont élargis pour permettre le passage de la cavalerie qui, lorsqu'elle se lancera en avant, ira nettoyer le bois de Vimy, car c'est d'une attaque qu'il s'agit. Le 25 septembre l'attaque se déclenche en même temps que celle de Champagne ; dans la préparation on a, pour la première fois, employé des obus spéciaux. Deux pièces de 370, installées à Anzin-Saint-Aubin, ont eu pour mission d'écraser Thélus et les Tilleuls ( erreur de calcul ou autre raison : tous les coups tombent dans le bled où ils creusent d'ailleurs de jolis entonnoirs bien alignés).

L'infanterie se lance en avant, s'empare du « losange » et progresse jusqu'aux Tilleuls, mais doit se replier devant la résistance de l'ennemi. Du côté de la route de Lille, pas de progression ; la préparation a été insuffisante. Les gains de la journée sont faibles et la crête du télégraphe, signalée comme atteinte par le communiqué du lendemain, ne l'a été qu'en imagination.

Les groupes ont des pertes ; quelques canons sautent, d'autres sont détruits par le feu de l'ennemi, mais la mission est malgré tout bien remplie. A notre gauche, les camarades anglais ont eu dur à faire devant Loos. Le 1er groupe, qui doit être groupe d'accompagnement et qui dans ce but fait des reconnaissances avancées, n'a pas à bouger. Le 11 octobre, les troupes participent encore aux attaques partielles du 12ème corps d'armée qui vous délivrera de l'occupation allemande.

Au début de novembre, les groupes réoccupent les positions voisines de Marœuil avec pour mission de renforcer éventuellement les artilleries divisionnaires du corps d'armée. L'hiver arrivant, les servants travaillent dur pour avoir des positions aussi confortables que possible et luttent contre les rats. On ne tire pas. Les échelons sont mieux ; ils sont installés partie à Lattre-Saint-Quentin, partie à Hermaville.

Vers le 15 mars, des reconnaissances anglaises arrivent pour nous relever ; c'est en effet l'armée britannique qui va prendre possession du secteur. Le 15, les groupes sont relevés et, après une nuit aux échelons, vont s'embarquer à Vieil-Hesdin. Sur la route on rencontre des colonnes anglaises montant aux tranchées.

Les groupes débarquent à Tricot, à quelques kilomètres au sud de Montdidier, et vont cantonner plus au sud. Le 1er groupe s'installe à Laneuvilleroy, le 2ème à Léglantiers. Très bons cantonnements. Vers le 25 mars, des reconnaissances sont faites du côté de Grivillers (est de Montdidier) ; elles ne sont suivies d'aucun déplacement.

Le 1er avril, le régiment s'embarque à Moyenneville ; il débarque au bout d'une journée, partie à Nançois-le- Petit, partie à Mussey. Les groupes cantonnent, le 1er à Ligny-en-Barrois, le 2ème à Givrauval. Le lendemain on revient sur ses pas et on traverse Bar-le-Duc. Plus de doute, c'est bien à Verdun que l'on va, Verdun où l'ennemi a attaqué avec succès fin février et où la situation est critique.

La chaleur est étouffante ; on fait quelques haltes pour laisser souffler les chevaux. Cantonnement à Louppy-le-Petit. Les reconnaissances partent la nuit en auto ; au jour, les batteries font étapes pour Osches. On croise des colonnes de toutes armes ; les hommes qui descendent du combat sont harassés, beaucoup manquent à l'appel. La route est souvent encombrée par des colonnes de camions. Les pistes et chemins de terre sont considérablement élargis, les voitures s'étant trouvées dans l'obligation de marcher à plusieurs de front.

Osches, petit village bourré de troupes. Les nouveaux arrivants s'installent dans les champs autour du village, sous la pluie. Dans la soirée les reconnaissances reviennent ; les positions qu'il va falloir occuper sont, pour le 2ème groupe, au sud de Fleury, mauvais coin paraît-il. Après avoir mangé à la hâte, le personnel de la batterie de tir monte dans des fourragères, emportant tout le matériel nécessaire pour s'installer. Les canons et caissons sont sur la position, ils ne seront pas changés ; les camarades relevés prendront livraison des nôtres à Osches.

A Souilly on prend des camions-autos. Au fur et à mesure que l'on approche le bruit du canon augmente. Les routes sont encombrées de colonnes et passablement défoncées ; les occupants des camions sont projetés à droite et à gauche. Comme il convient, les conducteurs ignorent leur route et à plusieurs reprises il faut revenir sur ses pas.



Verdun - avril à juin 1916.



Les camions s'arrêtent au faubourg Pavé au milieu de la nuit noire, pour décharger le personnel du 2ème groupe ; le 1er groupe va occuper des positions près du fort du Chana et de Montgrignon ; c'est plus abordable. Tout le 2ème groupe, après de multiples tâtonnements, se lance à l'assaut de la crête de Saint-Michel. La montée est pénible, à plusieurs reprises il faut s'arrêter en raison des tirs de l'ennemi. Après avoir fait plusieurs fois fausse route, on arrive au jour aux positions ; le terrain est bouleversé, c'est à peine si on distingue les travaux exécutés pour les positions ; des monceaux de terre rejetés hors des entonnoirs ; des voitures à demi défoncées gisent le long de la route ; des caissons encore attelés à quatre sont culbutés ; des chevaux d'attelage sont blessés, d'autres tués ; tous constituent un amoncellement informe au milieu de la boue.

Enfin on arrive. C'est le 27ème qu'on relève ; il est là depuis une dizaine de jours et n'a pas eu trop de pertes, ais il a succédé au 15ème qui, lui, s'est fait hacher.

La position est la première du genre que l'on occupe : de petits trous à côté des pièces servent à abriter le personnel ; les pelotons de pièce ne seront pas complets, on ne pourrait pas loger tout le monde. Des obus partout. En face de la position, Fleury-devant-Douaumont, petit village qui devait être gai et riant, mais que les bombardements ennemis ont détruit ; à côté, sa station tient encore debout. La 4ème batterie est au fond du thalweg, les 5ème et 6ème à contre-pente.

Dès l'arrivée, visite à l'observatoire qui forcément est éloigné. Circulant entre des trous d'obus, longeant Fleury et enjambant des barbelés, il faut aller jusqu'à la crête de Froideterre. Le long du chemin on aperçoit quelques cadavres des jours précédents ; à l'entrée de Fleury, une voiture d'ambulance défoncée est entourée de brancards sur lesquels les blessés qu'on allait charger ont été tués ; ils sont là, attendant que l'on puisse leur donner une sépulture.<:p>

L'observatoire ! Un élément de tranchée. Vue très étendue. Le fort de Douaumont dresse sa masse imposante à droite, au fond se profilent les ruines de Douaumont, enfin à gauche les bois qui, en certains points, ont leur physionomie de bois. A l'est, on aperçoit le fort de Vaux, moins important que son frère de Douaumont.

La relève se passe heureusement sans incidents ; la veille l'ennemi a attaqué dans le ravin de la Caillette, il doit se reposer. L'infanterie appuyée par le groupe appartient à une autre division. Ses effectifs sont réduits, ses boyaux de communication avec l'arrière presque inexistants. Les batteries, vues par des drachens ennemis, subissent des tirs extrêmement précis. Il ne se passe jamais une minute entière de silence, tout le temps le canon. Dans le tintamarre, grosse préoccupation : la position de l'infanterie n'est jamais exactement connue, il n'y a pas d'installation pour faire des mesures précises et travailler sur la carte. Les commandants d'unité n'ont jamais leur matériel au complet, des canons sont détruits quelques minutes après leur arrivée sur la position. Peu d'éclatements de pièces. Le personnel réduit, surmené par le service des pièces (barrages exécutés pendant plus de cinq quarts d'heure) et par la réfection des abris, est par-dessus le marché obligé de souffrir du côté de la nourriture.

Le 17 avril, l'ennemi fait une préparation d'artillerie très violente ; les batteries subissent des pertes. Vers 14 heures, l'attaque se déclenche ; de nombreux détachements d'infanterie sont faits prisonniers, chef de bataillon compris. L'infanterie allemande progresse sur une profondeur d'environ 500 mètres ; un sous-officier de liaison est fit prisonnier. Les jours suivants, le bombardement continue, occasionnant de nouvelles pertes. Malgré toutes les précautions prises, des centaines d'obus sautent, de nombreux canons sont démolis ; sur la crête, en arrière des batteries, un véritable parc se forme par suite des voitures atteintes par le feu ennemi en franchissant ce passage obligé et dangereux. La lutte aérienne est acharnée ; combien d'avions n'a-ton pas vu s'écraser, atteints par le tir ennemi ou par les balles de l'adversaire.

Le groupe reste quarante-trois jours dans cet enfer ; le pays n'est guère plus désolé au départ qu'à l'arrivée ; seules, les ruines du village de Fleury sont un peu moins hautes, un peu plus éboulées. Les téléphonistes se souviendront toute leur vie de ce secteur ; liaisons coupées à chaque instant. Très fréquemment les communications ne peuvent s'obtenir que par optique.<:p>

Quant aux officiers, ils garderont mauvais souvenir de certain observatoire blindé, au nord de l'ouvrage de Thiaumont, petite tourelle du temps de paix à laquelle on accède par une gaine qui prend naissance au milieu d'éboulis et qu'on ne peut atteindre que par un chemin découvert et battu. Cette tourelle, sous l'influence du bombardement, est dépouillée de la terre voisine et se présente à l'ennemi comme un gros champignon qui finit par être écrasé.

Pendant ce temps, le 1er groupe a mis deux batteries près du fort du Chana et la troisième à Montgrignon, avec une section détachée dans le ravin de Bras. Les deux premières ne tirent pas ; les positions sont acceptables. Le 20, le groupe se déplace ; les 1ère et 3ème batteries s'installent à Montgrignon, la 2ème prend position au sud-est du fort de Belleville. De gros travaux sont exécutés ; pas de pertes.

Au milieu de mai, les deux groupe se déplacent : le 1er va prendre position au ravin du Pied-du-Gravier, le 2ème vient remplacer le 1er.

Les emplacements sont mauvais, les positions repérées et le terrain est tel que si des gaz sont lancés par l'ennemi, les batteries seront obligées de vivre en pleine nappe. Le groupe y subit des pertes très sérieuses par les bombardements tant d'obus explosifs que d'obus toxiques.

Les deux groupes ont fort à faire, le 22, pour la reprise du fort de Douaumont et des carrières d'Haudromont ; mais au moins, là, le travail correspond à une action offensive. Quelques jours plus tard c'est l'ennemi qui contre-attaque pour reprendre ces deux points ; il parvient à annihiler les batteries de Froideterre ; aussi les deux groupes qui, eux, peuvent tirer, reçoivent toutes les dix minutes des changements d'objectifs, portant leurs feux de la côte du Poivre au ravin du Helly. La demande de barrage est souvent confirmée par le ballon de surveillance qui transmet par projecteur.

Malgré l'effort fourni, le 2ème groupe est heureux : en quittant Fleury, les positions actuelles sont presque le paradis. Les positions dominent Verdun et le cours de la Meuse. Le groupe a perdu, du fait de l'ennemi, 40 à 45 canons pendant les six semaines de son séjour à Fleury.

Le 31 mai, les deux groupes descendent au repos à leurs échelons, dans le bois la Ville. Un jour, l'ordre est donné d'aller faire des positions de crête entre le fort de Belleville et le fort Saint-Michel. On commence les travaux ; le lendemain on accroche la pièce directrice et on revient aux échelons.<:p>

Quelques jours après, les groupes vont occuper des positions, le 1er à Glorieux et Regret, le 2ème au fort du Chana : mission d'interdiction en cas d'avance de l'ennemi. Les batteries ne tirent pas. Le 20 juin, relève ; nuit aux échelons. Le séjour du régiment à Verdun était terminé.



Jean Pierre SAMY passe au 8ème Régiment d'Artillerie le 1er août 1916.



N'arrivant pas à déchiffrer le numéro de la Batterie à laquelle il appartenait au sein du 8ème Régiment d'Infanterie, il m'est difficile de retracer sa campagne entre le 1er août 16 et le 21 juin 1917, date de son décès.






Jean Pierre SAMY est décédé le 21 juin 1917 à Reims.